Aux origines
La bataille pour le prix unique du livre constitue un épisode déterminant dans la réflexion globale et toujours actuelle sur l’économie du livre. La création de l’Adelc, le 23 décembre 1988, apporte sa pierre à l’édification d’un marché régulé, pluraliste et promoteur de la diversité.
Les enjeux politiques du livre et de la lecture sont indissociables du fonctionnement économique du secteur : comment assurer un juste accès au livre dans les territoires et une juste rémunération de tous les acteurs de la chaîne ? Comment défendre la richesse et la diversité éditoriale face aux rouleaux compresseurs de la grande distribution, des best-sellers à rotation rapide et de la vente en ligne ?
Les arguments en faveur d’une régulation du marché font valoir que la pratique du discount entraîne, à long terme, une raréfaction du nombre de titres disponibles. De fait, lorsque le discount (baisse générale du prix) peut s’appliquer, les grandes chaînes s’attachent naturellement à proposer des ouvrages à rotation rapide, destinés à un large public, au détriment d’œuvres de création originale ou de rééditions de titres jugés plus difficiles d’accès – lesquels sont, pour la plupart, des ouvrages à rotation lente.
Dans un tel contexte, seuls les libraires ayant un chiffre d’affaires important peuvent survivre.
« En littérature générale, on ne compte plus les exemples de livres qui ont été lancés par les libraires indépendants du premier niveau. »
François Gèze, « Le bel avenir de la librairie indépendante », 2004
Cette logique économique entraîne une réduction du nombre des détaillants de livres au profit des grandes surfaces, souvent moins à même de fournir un service personnalisé aux clients. L’exemple du Royaume-Uni, qui a supprimé le prix fixe, ou « Net Book Agreement », en 1995, est éclairant à ce titre.
Le prix unique du livre dispense de comparer les prix d’un point de vente à l’autre ; il préserve de ce fait l’achat d’impulsion et facilite l’accès à la lecture.
Le vote de la loi sur le prix unique du livre marque donc l’aboutissement d’une âpre confrontation politique sur la place et le rôle du livre dans notre économie de marché.
Voici quelques-unes des étapes clés qui ont jalonné et nourri ce débat :
1974 : La Fnac et les grandes surfaces se lancent dans le commerce de livres
À cette époque, le prix du livre était conseillé : l’éditeur déterminait un prix, indiqué au dos du livre, et la plupart des libraires appliquaient ce rabais. Pour la première fois en France, la Fnac, qui vendait jusqu’alors des disques, du matériel photographique et des produits électroniques, ouvre en avril 1974 dans le quartier de Montparnasse, à Paris, un magasin proposant 100 000 références avec un rabais de 20 %.
La majorité des grandes surfaces – au premier rang desquelles les Centres Leclerc – se lancent également dans le discount, souvent au-delà de 20 % mais avec une quantité de références moindre. Cette nouvelle pratique, jugée abusive, conduit à la mise en difficulté de nombreuses librairies, en particulier celles offrant un assortiment riche et diversifié.
1976 : Un manifeste d’éditeurs
En juillet 1976, Jérôme Lindon (1925-2001), président des Éditions de Minuit, s’adresse au président Valéry Giscard d’Estaing dans un manifeste d’éditeurs pour dénoncer les rabais pratiqués sur le prix des livres. Le Président donne son accord pour étudier la question et instaurer, le cas échéant, des mesures pour aider la librairie, l’édition et la création littéraire dans le pays.
« Le livre n’est pas un produit comme les autres : c’est une création de l’esprit qui ne saurait être soumise à la seule loi du marché. »
Jack Lang, ministre de la Culture, Discours devant l’Assemblée nationale, 30 juillet 1981
C’est le début d’une longue bataille, qui oppose les tenants d’une régulation du marché aux grandes chaînes de distribution, à la Fédération des syndicats de libraires (FFSL) et, dans une moindre mesure, au Syndicat national de l’édition (SNE), adeptes d’une liberté totale des prix de vente du livre.
1979 : Arrêté Monory sur le « prix net »
En février 1979, un « arrêté Monory », du nom du ministre de l’Économie, change la donne : il interdit aux éditeurs de conseiller un prix de vente aux libraires et libéralise totalement le prix du livre.
La décision ministérielle était supposée contrecarrer les pratiques du discount, du fait de la disparition du prix de référence imprimé en quatrième de couverture. L’objectif n’a pas été atteint : au lieu de limiter l’impact de la concurrence des chaînes et de la grande distribution, le prix net (chaque revendeur détermine lui-même le prix de chaque livre) accélère son développement et conduit à la fermeture de nombreuses librairies, étranglées par la concurrence sauvage sur les prix (à l’époque, des rabais allant jusqu’à 45 % ont été observés).
1981 : Vote sur le prix unique du livre
Dans Ici et maintenant (Fayard, 1980), François Mitterrand, candidat à la présidentielle de 1981, s’indigne : « On traite le livre comme une brosse à dents. » L’instauration d’un prix unique pour le livre est la centième proposition du programme présidentiel. Elle sera défendue par Jack Lang, ministre de la Culture du gouvernement Pierre Mauroy.
« La loi de 1981 sur le prix unique visait à éviter qu’on brade en masse les ouvrages de rotation rapide dans les grandes surfaces, pour ne réserver aux vraies librairies que les activités par nature déficitaires. »
Jérôme Lindon, président des Éditions de Minuit, 1996
Lors de sa présentation devant l’Assemblée nationale, en juillet 1981, Jack Lang définit les objectifs du projet de loi en ces termes :
« Ce régime dérogatoire est fondé sur le refus de considérer le livre comme un produit marchand banalisé et sur la volonté d’infléchir les mécanismes du marché pour assurer la prise en compte de sa nature de bien culturel qui ne saurait être soumis aux seules exigences de rentabilité immédiate.
Le prix unique du livre doit permettre :
- L’égalité des citoyens devant le livre, qui sera vendu au même prix sur tout le territoire national ;
- Le maintien d’un réseau décentralisé très dense de distribution, notamment dans les zones défavorisées ;
- La garantie du pluralisme dans la création et l’édition, en particulier pour les ouvrages difficiles. »
Promulguée le 10 août 1981, cette loi, dite loi Lang, entre en application le 1er janvier 1982.
En corrigeant les mécanismes du marché (les commerces de livres doivent désormais pratiquer un prix de vente compris entre 95 % et 100 % du prix fixé par l’éditeur), la loi du 10 août 1981 a validé la spécificité de l’économie du livre. Force est de constater que cette loi a permis de maintenir et de développer un réseau de librairies de littérature générale plus dense, mieux réparti sur le territoire et plus vivant que jamais, mais aussi de préserver la diversité de la création éditoriale.
Pour en apprendre plus sur la loi sur le prix unique du livre, nous vous invitons à consulter notre page Archives.